Source : 5 Fi 2965 – Encuvement canon de Hampont, Archives Municipales de Nancy
Durant un an, le canon de Hampont a semé la terreur et la destruction sur la ville de Nancy. Neutralisé par l’artillerie française au début de l’année 1917, il restera néanmoins un mystère pour la population nancéienne jusqu’à l’armistice. Début 1919, l’Archiviste municipal visitera le site et prendra des photos qui sont toujours disponibles aux Archives Municipales de Nancy. Impressionné par sa visite, il émettra le souhait de voir ces vestiges conservés dans le but de transmettre la mémoire aux générations futures. Malheureusement, sa volonté ne sera pas exaucée et le site est aujourd’hui totalement à l’abandon.
Notons également la précision apportée quant à l’appellation de ce canon. L’impression laissée par l’action de la Grosse Bertha sur les forts belges puis français a amené la population à baptiser le gros canon tirant sur Nancy Grosse Bertha, alors qu’il s’agit d’une pièce totalement différente. Le même phénomène s’est produit à propos des Pariser Kanonen qui tiraient sur Paris. Aujourd’hui encore, ce nom de Grosse Bertha est utilisé à tort pour désigner les pièces de gros calibres qui bombardaient les villes françaises durant la Première Guerre mondiale.
Ce document est tiré des Archives Municipales de Nancy, 4 H 638 – Question de représailles – coupures de presse (1918). Emplacement de la pièce de 380 mm qui tira sur la ville du 1er janvier 1916 au 16 février 1917.
Carte montrant l’emplacement de la pièce et son axe de tir jointe au dossier
Cliquez sur les images pour les agrandir
L’Archiviste municipal a l’honneur de faire connaître à Monsieur le Maire qu’il a pu réaliser dimanche passé, 16 mars, le projet dont il lui avait dit quelques mots et se rendre dans la région de Château-Salins dans le but de rechercher et de prendre des photographies de l’emplacement de la pièce de 380 millimètres qui tira sur Nancy au cours des années 1916 et 1917.
Cet emplacement, bien connu dans la contrée, est situé sur le territoire de la commune de Puttigny, à l’extrême pointe d’un petit bois à contre-pente appelé le « Bois de Cédille ».
Il me paraît pouvoir être placé à quelques centaines de mètres au-dessus du point côté 248 sur la carte de l’Etat-Major allemand reproduite et publiée en 1916 par la Maison Berger-Levrault. Les travaux exécutés à cet endroit pour recevoir la plateforme de la pièce braquée durant plus d’un an sur notre ville, existent encore tels que nos ennemis les ont laissés, en parfait état de conservation. L’ensemble affecte la forme d’un vaste hémicycle, en partie creusé dans un repli de terrain ; l’aspect général rappelle assez exactement celui des anciens amphithéâtres grecs ou romains. Les photographies, d’ailleurs, prises sous des angles différents, donneront la physionomie exacte et complète du lieu. Sous l’immense masse de béton qui constitue comme une sorte de cuvette, existe un véritable dédale de galeries très soigneusement construites, dans lesquelles sont ménagées des chambres spacieuses, éclairées et aérées par des sortes de cheminées d’appel ouvrant sur l’extérieur. Elles servaient, m’a-t-on dit, de dépôt de munitions, de logements et d’abris aux artilleurs chargés de la manœuvre du canon.
Un épi de voies ferrées, relié par une ligne spéciale à la gare de Hampont, aboutit à ce travail. Cinq voies s’entrecroisant en différents sens permettaient, les unes d’amener la pièce sur la plateforme de tir, d’autres, qui s’enfoncent sous-bois, de la conduire et de la dissimuler, le tir étant effectué, sous le feuillage des arbres. Toutes ces voies ont gardé leurs traverses, leurs rails, leurs aiguilles de manœuvre. J’ajoute que le canon, que nous avions pris ici l’habitude de désigner sous le nom de « la Grosse Bertha » était appelé « Max » par les Allemands.
Le point où son abri était creusé, à l’endroit précis où le fond d’un vallon étroit, très solitaire, tout à fait perdu dans la campagne, commence à se relever vers les pentes voisines et à se couvrir d’épaisses frondaisons de chênes, est tout à fait pittoresque, assez sauvage même. Nul chemin n’en facilite l’accès, il faut suivre, à travers les champs labourés d’un côté, des près marécageux d’un autre, un petit sentier à peine marqué pour y parvenir.
Depuis quelques temps, une campagne s’est engagée dans la presse tendant à obtenir du Gouvernement la conservation dans leur état actuel de certains sites où se sont déroulés les événements et les faits d’armes les plus notables de la guerre, ceux dont l’aspect est particulièrement typique.
Quelques-uns de ces sites – je le lisais récemment- auraient déjà été remis par l’Armée à l’Administration des Beaux-Arts. Les villes de Paris et de Dunkerque, ai-je lu encore, se préoccupent dès maintenant d’obtenir, afin de les maintenir en leur état, l’emplacement des grosses pièces dont elles eurent, tout comme nous, à subir les tirs destructeurs. (La ville de Dunkerque n’aurait pas pu acquérir cet emplacement, étant situé en Belgique dans la ville de Koekelare).
Ces différentes initiatives m’ont amené à penser que la ville de Nancy pourrait, peut-être, en prendre une semblable. L’idée m’en est venue immédiatement lorsque je me suis trouvé sur cet emplacement, désormais historique pour nous. Les générations futures, qui ne connaîtront la Grande Guerre que par nos récits, nous saurons gré, me semble-t-il, d’avoir songé à garder pour leur instruction ce coin de terre entouré d’une constellation de trous d’obus faits par nos canons, dont la situation précise, la forme qui avait pu lui être donnée, on fait l’objet de tant de nos discussions à l’époque où, de là, partaient les engins qui semaient sur notre cité les destructions et les deuils. Nos ennemis avaient bien choisi leur lieu, il faut le reconnaître, et il eut été, je crois, difficile de trouver un endroit plus désert, plus caché, plus propice à l’exécution de leurs mauvais desseins.
Les travaux gigantesques qu’ils ont accumulés et qui me paraissent – surtout s’ils sont mis tant soit peu à l’abri des dégradations des hommes et du temps – être en état de braver bien des siècles, non été entrepris que dans le but de causer à notre ville le plus de mal possible. On doit, pour cette raison, et la confusion de l’orgueil allemand, les conserver comme un perpétuel témoignage de nos souffrances et de notre victoire ; de la vanité d’une science inspirée dans toutes ses conceptions par l’idée de la destruction et du crime. L’ensemble de ces constructions n’a, je le reconnais, rien de remarquable en dehors de sa disposition et de sa masse, mais il n’en constitue pas moins, surtout par les souvenirs qui s’y rattachent, un véritable monument historique, dans toute l’acceptation du terme. Je crois que, pour cette raison, il ne serait peut-être pas hors de propos pour l’Administration de prendre toute mesure utile en vue du maintien de ces travaux et de la conservation du site en son état actuel.
Nancy, le 20 mars 1919.