Nancy. Place Stanislas. Au fond, la cathédrale, février 1918. Source : La Contemporaine, VAL 136/008
Dans son livre « Nancy Sauvée, journal d’un bourgeois de Nancy« , René Mercier donne ses impressions sur le bombardement du 4 septembre 1914. Si deux personnes ont perdu la vie, il souligne néanmoins le manque d’efficacité du bombardement en s’attardant sur les dégâts faits à une vespasienne…
Nancy, 4 septembre 1914
Une bombe! Nous avons reçu une bombe. Deux bombes, même. Je montais à midi pour déjeuner. Spohn, qui était sur la terrasse, vint à moi.
– Vous n’avez pas entendu ?
– Quoi ? le canon ?
– Non. Rien.
Nous nous asseyons. Nous avions à peine commencé à attaquer les hors-d’œuvre que mon collaborateur Lenoble paraît.
– Un aéroplane allemand, me dit-il, vient de jeter une bombe sur la place de la Cathédrale. Un homme a été tué, deux autres ont été blessés, ainsi qu’une fillette.
– Ah ! s’écrie Spohn. Je savais bien que c’était ça. Je n’ai pas osé insister de peur que vous vous moquiez.
Traces des bombardements sur la Cathédrale de Nancy
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Nous partons tous vivement, et sur la place on nous conte la chose. Tout à l’heure, un aéroplane, volant à une telle hauteur qu’il était presque invisible, a lancé deux bombes.
L’une est tombée rue du Maréchal Exelmans, dans une petite cour. L’engin a fait voler en éclats les fenêtres du n° 55 et des habitations voisines. Le soubassement de la maison a subi quelques dommages. La trappe de la cave a été brisée. Pas de victime. C’est tout.
La seconde bombe est tombée sur la place de la Cathédrale, devant la vespasienne, dont le garde-vue en tôle a été presque entièrement percé par les projectiles, et a creusé un trou de vingt centimètres.
La mitraille que contenait la bombe a traversé les volets de fer d’une boucherie au rez-de-chaussée, et causé d’assez sérieux dégâts au premier étage.
L’hôtel de la Poste a reçu une grande quantité d’éraflures. La façade de la cathédrale a été criblée. Toutes les façades voisines ont subi de cruels dommages.
Des soldats ont tiré sur le taube, mais n’ont pu l’atteindre. Bientôt après, deux avions français prenaient en chasse le bandit ailé.
Un vendeur de journaux, Michel Bordener, a eu le crâne fracturé. Une fillette, Angèle Roux, âgée, de treize ans, a été atteinte à la tempe droite. La fillette et le marchand de journaux sont morts. Il y a trois blessés.
Effet sur la population ? Nul. Si, pourtant. Tout Nancy a défilé dans l’après-midi sur la place de la Cathédrale, examinant avec intérêt les traces laissées par la bombe.
« Nancy, ai-je écrit dans le journal, a l’air vraiment d’avoir reçu non pas deux bombes, mais plutôt une décoration de guerre.
« Si les Allemands ont compté, en tuant un marchand de journaux et une fillette, terroriser Nancy, ils se sont étrangement trompés. Ce sont des victimes de la guerre, comme le sont nos soldats morts au feu. Nous les honorons. Nous ne pleurons pas.
« Non. Ce qu’on a retenu de cette affaire, c’est que, pour produire un effet colossal, les avions allemands ont détérioré la façade d’une charcuterie et n’ont réussi qu’à transformer en monument presque historique une vespasienne. »
Voici donc la première blessure qui atteint Nancy. La courageuse cité a été très crâne. Elle n’a même pas consenti à paraître émue. C’est bien.