Les trois armes dans le combat

Les Marsouins au fortin de Beauséjour

Cet extrait du Manuel de Connaissances Militaires de 1888 présente le rôle des différentes armes (artillerie, infanterie, cavalerie) au combat et les interactions qu’elles entretiennent. Au delà de l’aspect théorique, qui préfigure les combats d’Août 1914 (ordre dispersé de l’infanterie, soutiens par l’artillerie, rôle de la cavalerie), il prends en compte la dimension psychologique du soldat. Cependant, cet aspect est traité de manière bien superficielle et la réponse apportée n’est finalement qu’un discours patriotique sur la valeur des chefs au combat…


LES TROIS ARMES EN MARCHE
CHAPITRE VI. – COMBAT

§ I. Caractères généraux du combat moderne (D’après le règlement du 12 juin 1875).

985. — Prépondérance de l’action du feu. — Impossibilité de maintenir, dans la zone efficace des feux de l’ennemi, l’ordre serré, en ligne ou en colonne pour les fractions un peu considérables. — Nécessité d’adopter le fractionnement en ordre dispersé pour les troupes de première ligne. Translation forcée du combat sur la ligne de tirailleurs.
Conclusion. — Adopter l’ordre dispersé pour les troupes de première ligne avec facilité d’augmenter les distances entre les lignes et d’ouvrir les intervalles pour diminuer les pertes. — Conserver l’ordre serré pour les manœuvres préparatoires et pour les formations d’attente, tant qu’une nécessité réelle n’obligera pas à l’abandonner.
LE COMBAT, engagé maintenant à une distance où l’on manœuvrait jadis, sera soutenu à l’aide d’efforts progressifs ayant pour but :
De ménager les forces physiques et morales du soldat ; d’amener successivement sur la ligne de combat des secours partiels qui apporteront un appoint nouveau de confiance et d’énergie ; de maintenir de la sorte jusqu’au dernier moment les liens tactiques. C’est ainsi qu’on pourra réaliser, dans la pratique, le principe de la translation du combat à la chaîne des tirailleurs.

L’attaque de front consistera ordinairement à s’avancer progressivement à une distance telle que la supériorité du feu et la supériorité morale déjà acquises deviennent irrésistibles. Plus souvent que par le passé, on la combinera avec les attaques de flanc.
La défense devra rechercher des positions favorables, les occuper convenablement et les renforcer par quelques travaux rapides ; elle profitera des avantages de ces positions pour donner à son feu toute la sûreté et toute l’efficacité possible ; mais elle devra plus fréquemment aussi abandonner sans hésitation son rôle passif, et prendre résolument l’offensive au moment opportun. Dans tous les cas, une préparation suffisante, obtenue par la concentration des feux, sera une condition indispensable pour arriver, dans la pratique, à une solution décisive.

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§ II. Rôle de l’infanterie.

986.FORMATION NORMALE DU BATAILLON EN PREMIÈRE LIGNE. — Deux compagnies accolées forment habituellement la ligne de combat du bataillon, sur un front de 150 mètres environ pour chacune d’elles, soit de 300 mètres pour le bataillon : deux autres compagnies sont en réserve à 1,000 mètres en arrière des tirailleurs. Chaque compagnie se subdivise en trois échelons disposés on profondeur et d’autant moins forts qu’ils se rapprochent davantage de l’ennemi : la chaîne des tirailleurs ; le renfort à 150 mètres des tirailleurs ; le soutien, à 350 mètres du renfort.
Ce front d’action de la compagnie (450 mètres) et du bataillon (300 mètres) est un minimum, et peut être étendu en raison des nécessités du combat et des formes du terrain ; les distances en profondeur doivent, au contraire, être considérées comme des maxima qu’il convient de ne pas dépasser.

Dans chaque compagnie, la chaîne et les renforts doivent être placés sous le commandement du même officier. Le soutien, sous le commandement d’un autre officier, a pour mission d’appuyer, de développer, d’accentuer l’action de la ligne de feu et de relier cette dernière avec la réserve du bataillon.
Cette réserve, formée des deux autres compagnies du bataillon (réunies dans le principe, ou échelonnées suivant les circonstances, mais séparées en tout cas dès que le besoin s’en fait sentir), constitue le quatrième échelon ; ses mouvements sont réglés sur ceux des échelons placés en avant.
Les capitaines des compagnies qui constituent la ligne de combat se placent à l’endroit d’où ils peuvent le mieux voir et diriger l’action, habituellement vers le centre du terrain occupé par leur compagnie ; s’il en est besoin, ils se portent quelquefois sur la chaîne de tirailleurs ; ils jouissent d’une part d’initiative qui leur permet de tenir compte des circonstances imprévues, sans cesser toutefois de se conformer aux intentions du chef de bataillon.
Prendre la formation de combat aussitôt que l’on reconnaît qu’une distance de moins de 2,000 mètres nous sépare de l’ennemi. Les escouades de la chaîne restent groupées et sont précédées de leurs éclaireurs.
Les renforts prennent les formations les plus convenables pour se soustraire à l’action du feu et pour utiliser tous les couverts du terrain ; il est avantageux de les subdiviser. A 800 mètres des tirailleurs ennemis, déployer les groupes de la chaîne et continuer la marche ; les éclaireurs commencent le feu. A 600 mètres, exécuter le feu en avançant sur tout le front. Les capitaines se rendent compte de la situation et font renforcer la chaîne paf des fractions constituées des renforts, en retardant le mélange des sous-unités. Les soutiens remplacent les renforts ; une compagnie de la réserve prend leur place ; peu à peu les capitaines des compagnies de ligne se servent de leurs soutiens pour renforcer la ligne de feu, mais en conservant le plus longtemps possible la plus forte portion massée en arrière.
La marche s’exécute par fractions, le feu des fractions restées de pied ferme protégeant celles qui se portent en avant. Les bonds successifs de de chaque fraction se raccourcissent de plus en plus. De toute part les feux convergent sur les points d’attaque. On se rapproche le plus possible de l’ennemi et quand on ne peut plus avancer (à 300 mètres environ), toute la ligne est renforcée par les soutiens ; elle exécute le tir rapide et s’élance à l’assaut final. La dernière compagnie maintenue en réserve a suivi le mouvement, mais sans s’engager, afin de pouvoir garantir de toute surprise les échelons engagés. Le commandant du bataillon dirige l’ensemble du mouvement conformément aux ordres de son colonel ; il limite sa zone d’action au terrain occupé par le bataillon et à celui qui s’étend en avant vers l’ennemi et latéralement jusqu’aux bataillons voisins ; il s’attache, en outre, à garder ses relations avec ses voisins de droite et de gauche. Il possède dans l’emploi des compagnies de la réserve, les moyens d’intervenir, à chaque instant, dans le combat des tirailleurs ; il garde sous la main, dans tous les cas et aussi longtemps que possible, une fraction à rangs serrés.
Le chef de bataillon ne doit pas chercher à retirer du combat, pour les diriger sur un autre point, des troupes sérieusement engagées.

987. FORMATION D’UNE BRIGADE ET D’UNE DIVISION — L’ordre dispersé est devenu une nécessité pour les troupes de première ligne. L’adoption de cet ordre oblige à renforcer sans cesse les troupes engagées, et par conséquent à disposer ses forces en profondeur en arrière de la ligne de feu.

En disposant les troupes en profondeur, il faut accoler les unités tactiques de manière à satisfaire aux conditions suivantes : 1° Le renforcement de la ligne engagée doit pouvoir se faire au moyen de troupes appartenant à la même unité tactique (compagnie, bataillon, régiment) ; les divers éléments de ces unités peuvent être mélangés momentanément au feu sans qu’il en résulte autre chose qu’un inconvénient passager, auquel on peut remédier chaque fois que la troupe stationne à couvert. — 2° La profondeur d’une troupe dans l’ordre de bataille doit varier avec les difficultés qu’elle aura à vaincre et avec le rôle qui lui est dévolu (combat traînant sur place, démonstration, attaque énergique). 3° Cette profondeur est encore influencée par la nature du terrain. 4°Les prélèvements de certaines réserves partielles doivent pouvoir se faire sans toucher aux troupes engagées ; ces prélèvements sont nécessaires pour tromper l’ennemi, en faisant varier le caractère des engagements pendant toute la durée de l’affaire et en dégarnissant certains points pour en renforcer d’autres. Ces prélèvements doivent porter sur des unités constituées et suffisamment solides. Le bataillon peut être considéré comme la plus petite de ces unités.
Quelle que soit l’étendue de l’ordre de bataille, les troupes devront donc, en principe, y être rangées par brigades et par régiments accolés, mais elles ne seront pas disposées d’une manière uniforme sur tout le développement du front.

Fig 3. : Ordre dispersé

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Les régiments pourront avoir, suivant l’étendue de l’effort fournir, les uns 1 bataillon en première ligne et 2 bataillons en deuxième et troisième ligne (3e régiment, fig. 3) ; les autres, 2 bataillons en première ligne, et le 3e en deuxième ligne (2e régiment, fig. 3) : chaque bataillon de première ligne pourra avoir une, deux ou trois compagnies engagées sur la ligne de feu.
En mettant en première ligne 2 bataillons de chacun des trois premiers régiments, en gardant les 3es bataillons de ces mêmes régiments en deuxième ligne, et le régiment tout entier en réserve générale, la division couvre un front de 2,200 mètres, dont 1,800 mètres pour l’infanterie, 400 mètres pour l’artillerie ; on dispose d’une puissance d’action de 5 hommes par mètre courant.
En mettant en première ligne 2 bataillons des deux premiers régiments et 1 bataillon du 3e régiment, la division couvre un front de 1,900 mètres, dont 1,500 mètres pour l’infanterie, et 400 mètres pour l’artillerie ; on dispose d’une puissance d’action de 5 hommes par mètre courant.
Si l’on ne met en première ligne que 2 bataillons de chacun des deux premiers régiments et que l’on conserve toute la 2e brigade en réserve, la division couvre un front de 1,600 mètres, dont 1,200 mètres pour l’infanterie et 400 mètres pour l’artillerie ; on dispose d’une puissance d’action de 9 à 7 hommes par mètre courant.
Les troupes de deuxième ligne ne doivent pas être influencées au même degré par les émotions du combat. Quand elles se portent en avant, il faut que leur bon ordre et la résolution de leur attitude ramènent la confiance ; on les place 4,500 mètres environ de la ligne de feu, en profitant des couverts pour les abriter. Les troupes destinées exécuter les mouvements tournants ou enveloppants, ainsi que les réserves générales, doivent être soustraites, autant que possible, aux vues et aux coups de l’ennemi. Éviter de les placer en potence, ce qui gêne les mouvements de troupe et présente une direction fichante que l’ennemi peut enfiler avec son canon.

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§ III. Rôle de l’artillerie.

988. — D’après l’instruction ministérielle du 16 avril 1876, le rôle de l’artillerie consiste à : 1° Engager le combat ; 2° Couvrir le déploiement des troupes des autres armes ; 3° Contenir et occuper l’ennemi par son feu en entretenant l’action aux distances où n’atteignent pas les armes portatives ; 4° Contre-battre l’artillerie ennemie ; 5° Préparer l’attaque décisive par des feux rapprochés ; 6° Concourir d’une manière spéciale à certains détails du combat, tels que : attaque et défense de villages, de postes retranchés, etc., passage de défilés, de cours d’eau, etc. ; 7° Aider à la poursuite de l’ennemi battu ; opérer seule au besoin cette poursuite par ses feux, si les obstacles du terrain empêchent l’action des autres armes ; 8° Protéger les retraites.

« Pour remplir ce rôle, il est indispensable que l’artillerie soit bien au courant du but de la lutte, et, par suite, que le commandant de l’artillerie soit en permanence auprès du commandant des troupes, tant que ses batteries ne sont pas engagées. Il importe également que l’artillerie ne soit pas dispersée par batteries isolées entre les brigades et qu’elle soit attachée aux troupes par groupes de batteries sous la direction d’un commandant unique. L’exécution des ordres et l’emploi des batteries conformément au but général seront ainsi mieux assurés.
« La propriété la plus importante des nouveaux canons est de pouvoir concentrer le feu sur le point décisif du combat. On aurait tort de croire qu’il sera facile d’obtenir cette concentration du feu avec des batteries disséminées en différents points du champ de bataille : on serait forcé, pour cela, de faire porter des ordres précis aux différentes batteries par des officiers d’ordonnance que généralement les difficultés du terrain empêcheraient d’arriver temps. On obtiendra bien plus sûrement cette concentration du feu en faisant agir l’artillerie par masses de batteries, réunies sur un même point. En opérant ainsi, on aura de plus l’avantage de pouvoir régler le tir plus facilement car les observations des premiers coups pourront être communiquées de batterie à batterie.
« Un changement de position d’une centaine de mètres seulement est une faute. Quand l’artillerie devra se rapprocher de l’ennemi, la distance qu’elle devra parcourir ne doit pas être moindre de 1,000 pas.
« Les perfectionnements du fusil ont augmenté l’indépendance de l’infanterie, en ce sens qu’une infanterie solide et intacte n’a plus à craindre ni les charges de la cavalerie, ni les feux de mitraille de l’artillerie.
« La cavalerie aura encore un grand rôle jouer dans les batailles, mais seulement en chargeant brusquement des troupes d’infanterie déjà démoralisées, ou bien en surprenant des batteries mal gardées et occupées, soit par leur tir contre une autre troupe, soit par leurs propres pertes.
« La sphère d’action de l’artillerie s’est étendue dans les mêmes proportions que celle de l’infanterie ; mais, son efficacité n’ayant pas été augmentée aux petites distances auxquelles correspondent précisément les perfectionnements du fusil d’infanterie, il s’ensuit que l’infanterie lui est devenue supérieure aux petites distances. » (Général allemand prince DE HOHENLOHE).

On doit aujourd’hui plus que jamais proscrire la dispersion de l’artillerie par pièces isolées. L’artillerie doit chercher à agir par groupes de 4 ou de 2 batteries et tout au moins par batteries entières ; une section seule ne doit être employée que dans des cas très rares, par exemple pour enfiler une route avec deux pièces. — L’infanterie souffre de l’éloignement ou du silence de son artillerie ; au début surtout il faut savoir résister aux officiers d’infanterie qui demandent à l’artillerie de tirer, ne fût-ce que pour soutenir le moral de leurs hommes. — Chercher plutôt à démoraliser l’infanterie ennemie qu’à contre-battre son artillerie, sauf dans le cas où les batteries ennemies donnent seules un but facile à distinguer, ce qui arrive fréquemment au commencement d’un combat. — Tirer très vivement sur l’artillerie ennemie, dans certains moments favorables… ; par exemple quand elle amène les avant-trains, quand elle se met en batterie ou prête le flanc, quand ses caissons ne sont pas bien défilés. — Activer le feu pour protéger un mouvement en avant de l’infanterie ou d’une autre batterie.
Pendant ces premiers feux, l’infanterie gagne du terrain en avant ; dès qu’elle a fait assez de progrès, l’artillerie se porte en avant à son tour. Ces déplacements, qui ne doivent pas, en principe, être inférieurs à 500 mètres, sont exécutés par échelons quand on dispose de plusieurs batteries.
Arrivée à sa deuxième position, l’artillerie dirige son feu sur le point où, selon les prévisions du commandement, doit avoir lieu le choc définitif. Les officiers d’artillerie surveillent attentivement la marche de l’engagement.et les mouvements des troupes, afin que si le feu des pièces devenait dangereux pour elles, ils puissent, à temps, soit arrêter le tir, soit en changer la direction de manière à lui donner comme objectifs les batteries de l’adversaire ou ses réserves.
Lorsque l’infanterie prononce son mouvement pour un assaut décisif, l’artillerie s’y associe et se rapproche de façon à protéger plus efficacement les troupes.
En cas d’échec, l’artillerie, par ses feux, favorise le ralliement des premières lignes de l’infanterie, soutient l’attaque reprise par les secondes lignes, et s’efforce d’arrêter les progrès des batteries et des colonnes ennemies.
L’artillerie divisionnaire combat d’après les ordres du général de division et en se tenant intimement liée aux troupes de chaque division. L’artillerie de corps est aux ordres du commandant du corps d’armée, lequel ne la fait agir qu’après s’être bien orienté et avoir reconnu, d’après la marche du combat la nécessité d’engager toutes ses forces. On cherche à concentrer toutes les batteries d’un mème groupe sur un même point ou tout au moins à ne pas employer moins de 2 batteries pour un même objet.

989. Distances de tir. — « On admet que l’artillerie doit généralement éviter d’ouvrir son feu à des distances de beaucoup supérieures à 3,000 mètres et inférieures à 1,000.
« Lorsqu’on veut démonter l’artillerie ennemie, la distance maxima à laquelle on doit se placer est de 2,000 mètres ; même à cette distance, on arrivera difficilement à un résultat décisif par des feux directs. L’on devra, si l’on a intérêt à réduire rapidement au silence l’artillerie chargée de défendre une position, la faire prendre en rouage par quelques batteries.
« Au delà de 3,000 mètres, le tir du canon perd notablement de son effet ; en outre, même à la lunette, l’appréciation des effets des projectiles sur les troupes ennemies devient assez vague, surtout si les nuages de fumée ne sont pas rapidement dissipés par le vent. Enfin, l’on doit, au début d’un engagement, ménager les munitions et les forces des hommes. — En deçà de 1,000 mètres, on tombe dans la zone efficace du fusil d’infanterie ; s’y placer, serait exposer les batteries à être démontées, même avant d’avoir combattu.
« Ces chiffres n’ont rien d’absolu, car la distance-limite d’un bon tir d’artillerie varie dans une certaine mesure avec la nature du sol, la configuration du terrain et la manière dont il est éclairé par le soleil. Si le sol est dur, les projectiles éclatent en se relevant, et la gerbe des éclats couvre une étendue qui, pour le canon de 95 millimètres et à 1,500 mètres, atteint jusqu’à 700 mètres de longueur. Si, au contraire, le sol est mou, les projectiles creusent un sillon plus ou moins profond, éclatent dans ce sillon et ne produisent plus grand effet au-delà de 3 à 4,000 mètres. S’il existe des masques, la chance d’atteindre le but est notablement diminuée. Les pentes du terrain près du point de chute influent aussi sur l’étendue des zones dangereuses ; s’il existe, par exemple, un talus raide en avant du but, les coups courts sont presque sans effet. » (Général SCHNÉEGANS).

990. Choix des positions pour l’artillerie. — Ce choix n’a rien d’absolu. Il faut ayant tout se pénétrer du rôle qu’assignent à l’artillerie le but à atteindre, l’attitude des troupes voisines, celle de l’ennemi, en un mot se préoccuper de la physionomie du combat plus encore que des détails du terrain.

S’il s’agit de déloger quelque troupe compromise, s’il faut arrêter une colonne victorieuse menaçant la ligne do bataille, l’offensive doit être aussi vigoureuse que possible. Ne pas craindre de se lancer à petite portée de l’ennemi, chercher à l’arrêter par un feu roulant, et s’efforcer de l’écraser sans se laisser arrêter par ses propres pertes.
Dans les actions de vigueur, la hardiesse n’a pour ainsi dire pas de limite. — S’agit-il au contraire de masquer un espace vide de la ligne, de soutenir des troupes mollement engagées ou d’entretenir avec l’ennemi une de ses canonnades prolongées qui n’ont d’autre but que d’immobiliser une partie de ses forces loin du point décisif ? cherchons alors à couvrir nos pièces le mieux possible et ne négligeons aucun soin pour y parvenir.
La connaissance et l’emploi judicieux du terrain ont sur le choix des positions une influence considérable ; contre du calibre supérieur, on n’hésitera pas se rapprocher si on a devant soi des plis du sol cachant ce mouvement aux vues de l’ennemi ; on abordera de la cavalerie à distance de mitraille, si un ravin ou un fossé couvre la batterie contre une charge.
« Sur le champ de bataille, disait le duc de Cambridge aux officiers de l’armée anglaise, il faut que l’artillerie choisisse et prenne sa place… » — Sous une forme concise, cette pensée résume une des modifications les plus sérieuses qui se soient produites dans la tactique moderne. — L’artillerie a des portées qui vont jusqu’à 4 et 5 kilomètres, son tir est très juste quand les distances sont bien appréciées ; dans ces conditions, elle ne devra plus se contenter d’occuper les intervalles laissés vides en avant de l’infanterie, c’est elle qui choisira son poste. L’art consiste à prendre de suite de bonnes positions et non en corriger de mauvaises. » (M, le colonel BERGE).

Avec les moyens actuels de guerre, disait un officier général allemand, quand on est arrivé par des marches bien réglées déboucher en force sur le terrain où l’engagement paraît probable, une pensée générale doit présider l’action : il y a sur le champ de bataille un certain nombre de points qu’il faut absolument prendre, tenir et conserver ; l’occupation de ces points peut seule donner aux manœuvres de la sécurité et des chances de succès. Il importe donc d’utiliser les belles portées et les puissants effets de l’artillerie pour occuper le plus tôt possible ces points décisifs.

L’emplacement d’une batterie ne doit jamais gêner le mouvement des troupes. — Ainsi, une batterie destinée à couvrir un mouvement d’attaque ou de retraite ne prendra pas position près de la route à suivre par la colonne, sous peine d’attirer sur cette colonne le feu de l’ennemi.
Conditions d’emplacement à rechercher : — Un peu de commandement sur des abords dénudés, afin de découvrir de loin et de tirer longtemps sans changer de place. — Sol résistant et suffisamment plat, pour donner de la stabilité aux pièces et faciliter le pointage. Un pli de terrain ou tout au moins un masque formé par un rideau d’arbres, des haies ou des arbustes, pour soustraire en partie les pièces, sinon aux coups du moins aux vues de l’ennemi. — Pour le même motif on recherche de préférence des emplacements peu éclaires. — Quelques ondulations du sol en avant et on arrière de la batterie empêchent l’adversaire de bien observer les points de chute. — Un terrain mou et détrempé aux abords de la batterie la garantit en partie des effets des ricochets. — S’assurer de bonnes communications vers l’avant et vers l’arrière. — La présence d’un talus raide en avant de la batterie annule les effets des coups courts de l’adversaire. — Compléter par quelques travaux rapides les abris et les masques qui font défaut.
Conditions d’emplacement éviter : La proximité immédiate de couverts non gardés est susceptible de favoriser une surprise. — Un terrain rocailleux, des tas de pierres, des murs donnent des éclats dangereux. — Si la pente en avant est très raide ou si l’on occupe des hauteurs escarpées, le tir devient fichant, les espaces battus et les effets d’éclatement des obus diminuent ; de plus, une troupe attaquant la batterie serait abritée contre son feu dans toute l’étendue de l’angle mort. — Éviter les emplacements d’où les pièces se profileraient sur le ciel ou sur un fonds clair ; éviter également la proximité immédiate d’un mur blanc et de points cotés ou suffisamment désignés sur la carte pour faciliter à l’adversaire le réglage de son tir.

994. Escorte des batteries. — En principe, toute troupe placée à proximité d’une batterie lui doit soutien et protection, de façon à maintenir les tirailleurs ennemis en dehors de la portée des balles. L’emploi des escortes permanentes doit être limité au cas où l’artillerie aurait à agir isolément. Dans ce cas, l’escorte se compose d’infanterie quand le déplacement est de peu d’étendue, de cavalerie quand les batteries ont à effectuer un long mouvement aux allures rapides.
« La force d’une escorte varie avec le terrain et les circonstances ; on peut admettre cependant, comme terme moyen, que l’escorte d’une ou de plusieurs batteries divisionnaires se compose d’une compagnie d’infanterie ou d’un escadron de cavalerie, et celle des batteries de corps, d’un bataillon d’infanterie ou d’un régiment de cavalerie. » (Général SCHNÉEGANS)
Les tirailleurs de l’escorte d’infanterie s’embusquent à environ 600 mètres en avant, tandis que le gros se place à 200 ou 300 mètres sur le côté le plus menacé, de façon à éviter les coups provenant des écarts en direction. L’escorte de cavalerie se place de même sur le côté, mais un peu en arrière de l’aile menacée pour se ménager une carrière de charge.

992. MANŒUVRES L’ARTILLERIE. —- La batterie de combat ne se présente pas au complet sur l’emplacement qui lui est assigné pour ouvrir le feu ; elle laisse en arrière d’elle, à une distance plus ou moins éloignée (de 200 à 500m), suivant les abris qu’offre le terrain, la réserve de la batterie composée de la moitié de ses caissons et de la partie de son personnel qui n’est pas strictement nécessaire au service des pièces.
Dans l’ordre en colonne par pièce ou par section (deux pièces), chaque caisson suit ou précède sa pièce. Au moment d’entrer en ligne, on peut, pour faciliter le déploiement, mettre tous les caissons à la queue de la colonne. Dans l’ordre en bataille, la batterie est sur deux lignes ; la première comprend les pièces accrochées à leur avant-train ; la deuxième les caissons. Dans l’ordre en batterie, la batterie est sur trois lignes : 1° les pièces séparées de leur avant-train et prêtes à faire feu ; 2° les avant-trains ; 3° les caissons ; ceux-ci peuvent d’ailleurs et doivent presque toujours, sur le champ de bataille, être rejetés en arrière ou sur les côtés de la batterie, de façon à être défilés du feu.
En batterie, les pièces sont séparées par des intervalles de 15 à 20 mètres ; on peut resserrer ces intervalles jusqu’à 10 mètres ; le front de la batterie peut varier ainsi entre 70 et 110 mètres.
Les avant-trains sont en arrière des pièces à 15 ou 20 mètres au plus ; les caissons du premier groupe de la batterie de combat sont défilés le mieux possible du feu de l’ennemi et placés cependant de telle manière que les pourvoyeurs n’aient pas à parcourir des distances trop considérables ; la réserve de la batterie prend place proximité du deuxième groupe de la batterie de combat.
Étant en colonne par pièce ou par section, une batterie se forme : vers la droite ou vers la gauche et en avant en bataille, à gauche ou à droite en bataille, sur la gauche ou sur la droite en bataille… en marchant et pour continuer marcher, à la même allure ou en doublant l’allure. Une fois en bataille, au commandement do « en batterie » les caissons s’arrêtent, les pièces se portent aux points voulus et s’arrêtent, la pièce est séparée de son avant-train, les avant-trains font demi-tour et vont se placer en arrière, les servants font faire demi-tour à l’affût sur place et se préparent à. tirer.
Tous les feux sont précédés de la mise en batterie. — Le feu en avant s’exécute dans la direction vers laquelle la batterie marche ou fait face, Le feu en arrière s’exécute dans la direction opposée.
Le feu en avançant s’exécute après avoir gagné du terrain en avant. Les servants font faire à bras demi-tour à la pièce, les avant-trains sont amenés en avant des pièces et réunis à elles. Les pièces et les caissons se mettent en marche jusqu’à la nouvelle position ; là, toutes les voitures s’arrêtent, les pièces sont remises en batterie, les avant-trains et les caissons se défilent.
Le feu en retraite s’exécute après avoir gagné du terrain en arrière. — Les caissons font demi-tour, les avant-trains sont amenés on arrière des pièces et réunis à elles. Les pièces et les caissons se mettent en marche jusqu’à la nouvelle position ; là, les avant-trains sont détachés et les pièces sont prêtes tirer. —Si le terrain Io permet, le feu en retraite peut s’exécuter à la prolonge. Les feux en avançant ou en retraite s’exécutent d’ordinaire par échelons. Pendant que deux sections tirent, la troisième amène les avant-trains, se porte à la nouvelle position et ouvre son feu. Les deux premières sections simultanément ou successivement exécutent le même mouvement pour gagner la nouvelle position.
Dans la zone du combat, la batterie cherche manœuvrer le moins possible. — Dans cette zone, le meilleur ordre de marche sur les chemins est la colonne par pièce. La meilleure formation pour arriver en batterie dans toutes les directions est celle qui offre le but le moins étendu aux coups de l’ennemi ; c’est la colonne par un sur les chemins, quand on est couvert en tête par un pli du sol, par une ligne d’arbres ou par tout autre masque ; c’est la ligne déployée à intervalles de combat, sur les terrains découverts et praticables.

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§ IV. Rôle de la cavalerie (d’après l’Instruction du 10 février 1879).

993. PRINCIPE DES FORMATIONS. — Une troupe de cavalerie doit avoir un échelon au moins pour appuyer la première ligne, protéger ses flancs et menacer ceux de l’adversaire. Quand l’effectif le permet, elle a aussi une réserve destinée à compléter la défaite de l’ennemi, ou bien à arrêter sa poursuite en cas d’échec.
La cavalerie manœuvre en colonnes et déploie ses escadrons pour aborder l’ennemi. Elle passe rapidement de l’une à l’autre de ces formations en employant la ligne de colonnes, qui se prête aux mouvements les plus variés ainsi qu’à tous les terrains.

CAVALERIE CONTRE CAVALERIE. — A proximité de l’ennemi, la cavalerie se forme sur deux ou trois lignes, selon son effectif. Les escadrons de la première ligne sont disposés en ligne de colonnes ou déployés. Pour protéger directement leurs flancs, ces escadrons peuvent détacher un peloton ou une division en échelon à cinquante pas derrière chacune des ailes, afin de prendre en flanc la troupe ennemie qui tenterait de les déborder.
Le rôle de la première ligne est de faire brèche ; elle enveloppe si elle le peut l’une des ailes de l’adversaire. Pour donner au premier choc son maximum de puissance, il est avantageux d’affecter à la première ligne les régiments de cuirassiers dans les divisions de cavalerie, et ceux de dragons dans les brigades de corps d’armée.
La deuxième ligne, destinée servir d’échelon offensif, est placée en dehors de la première à 200 ou 300 mètres en arrière, du côté de l’aile qui doit produire le plus grand effort ou qui est menacée. Les escadrons sont habituellement en masse de colonnes à intervalle de déploiement par régiment, et se forment en ligne de colonnes lorsque la première ligne se déploie pour l’attaque.
Si l’on peut former une réserve, elle s’établit à 400 mètres environ en arrière de la première ligne, et en dehors du flanc qui n’est pas couvert par la seconde. Elle est généralement formée en masse, de manière à occuper le moins d’espace possible, et à se dérober plus facilement aux vues de l’ennemi.
Chaque ligne a son commandant particulier qui concourt à l’action commune, en gardant néanmoins sa part d’initiative.
Des patrouilles dites de combat et composées d’un officier et de deux cavaliers bien montés sont envoyées aussi loin que possible sur le front et sur les flancs, pour tenir le commandant de la cavalerie au courant des mouvements de l’ennemi. Elles continuent leur service de surveillance pendant toute la durée de l’action.
Indépendamment de ces patrouilles, chaque escadron se fait précéder, à 200 mètres environ, par un cavalier appelé éclaireur du terrain. Ces cavaliers sont chargés de signaler les obstacles qui pourraient arrêter la marche, et de chercher les passages.
L’artillerie, dans les formations préparatoires qui précèdent le déploiement de la cavalerie, se place généralement en colonne de sections par batterie, sur le flanc non menacé des escadrons destinés à former la première ligne. Elle est toujours accompagnée d’un soutien. Au moment de l’engagement, l’artillerie devra en principe se déployer à 300 ou 400 mètres sur le côté de l’aile non menacée de la première ligne. Le soutien se place habituellement à 400 ou 200 mètres en arrière de la ligne des pièces, en dehors du flanc le plus exposé.
Les principes essentiels qui doivent guider la cavalerie au moment du combat peuvent se résumer ainsi : se réserver toujours l’initiative de l’attaque et prévenir l’adversaire dans la charge ; chercher à attaquer par surprise et à prendre l’ennemi de flanc ou même à revers ; enfin, faire appuyer toute attaque de front par une attaque de flanc simultanée.

994. CAVALERIE CONTRE D’AUTRES ARMES. — Combinée avec l’infanterie, la cavalerie l’éclaire et la couvre pendant la marche.
Dès que l’on est assez rapproché de l’ennemi pour que le combat s’engage ; elle se retire en arrière de l’une des ailes et choisit une position, autant que possible à l’abri du feu, d’où elle puisse intervenir temps contre la cavalerie de l’adversaire. Elle ne cesse jamais de faire observer par des patrouilles les flancs des troupes engagées, et renseigne le commandant en chef sur toutes les entreprises qui seraient tentées contre lui. Elle peut être employée de grandes démonstrations sur les ailes ou sur la ligne de retraite de l’ennemi.
La présence de la cavalerie sur tel ou tel point du champ de bataille est une menace constante pour l’adversaire. Mais son action véritable se manifeste à des moments déterminés et très courts, d’autant plus difficiles saisir que la portée actuelle des armes feu oblige le plus souvent la cavalerie à se maintenir éloignée des lignes de combat.
En raison de l’efficacité du tir rapide, les charges contre l’infanterie ne doivent être dirigées que sur une troupe déjà désorganisée ou du moins ébranlée. La cavalerie s’efforce de profiter de tous les accidents de terrain pour surprendre l’ennemi, et elle l’attaque toujours résolument en franchissant la zone meurtrière aussi rapidement que possible. Les charges ont lieu par échelons successifs et très rapprochés, de façon ne pas laisser l’infanterie le temps de se reformer.
On charge contre l’artillerie en dirigeant deux attaques distinctes : l’une est exécutée par une ligne de fourrageurs débordant l’artillerie sur chacune des ailes, l’autre par un détachement qui cherche à gagner le flanc de la position pour la tourner et se jeter sur les soutiens.
Contre des éclaireurs de cavalerie, rassembler sa troupe et les charger sans tirailler et sans leur donner le temps de se reconnaître.
Contre des tirailleurs d’infanterie surpris. — Ne pas tirailler, ne charger que si le terrain est favorable et si une attaque de flanc peut être combinée avec celle du front. C’est la crainte d’être coupés qui frappe le moral des tirailleurs et les détermine la retraite.

POURSUITE. — Après la victoire, il faut en profiter en poursuivant les fuyards ; on joint la cavalerie de l’artillerie ou un peu d’infanterie, pour compléter son action démoralisatrice ; même à de grandes distances du champ de bataille, on fait des prisonniers, on capture du matériel et on grandit singulièrement les proportions de la victoire. Il est très important que les ordres pour la poursuite soient donnés temps.
Exemples : Poursuite de la cavalerie française anéantissant l’armée prussienne après Iéna. — « Lors de la retraite des Bavarois après leur défaite Coulmiers (1870), l’amiral Jauréguiberry apprend qu’une colonne bavaroise a traversé Patay en désordre. M. de L…, chef d’escadron d’état-major, part aussitôt avec 40 dragons d’escorte, pendant qu’un bataillon d’infanterie le suit à distance pour l’appuyer. Il aperçoit la queue de la colonne ennemie au moment où elle s’engage dans Lignerolles ; il se précipite au galop dans cette direction, tourne le village, tombe sur la tête de la colonne et, après une résistance de peu de durée, ramène 2 canons avec attelages et servants, 23 caissons, 30 voitures et 130 prisonniers, dont 5 officiers. » (Général CHANZY).

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§ V. Développer le moral du soldat.

995. — La force morale du soldat, c’est-à-dire l’opinion qu’il a de lui-même, de ses chefs et des dangers à affronter, ne supplée ni à l’intelligence de ceux qui dirigent, ni à l’emploi judicieux du terrain, ni à l’usage d’armes supérieures ; mais elle favorise singulièrement ces éléments de succès quand ils existent.
A la guerre, le soldat a constamment l’œil sur son officier ; s’il l’entend se plaindre des fatigues, du retard dans l’arrivée des vivres, de la mauvaise installation du cantonnement, et critiquer les dispositions prises… le soldat fait comme son chef, il se plaint, critique, se démoralise et finit par ne plus marcher.
Si, au contraire, il a devant lui ce type si répandu dans notre armée de l’officier calme, souriant, insensible en apparence aux fatigues et aux privations… le soldat fait comme son officier et il marche dans de bonnes conditions. Au bivouac, il voit l’officier plus préoccupé de ses hommes que de lui-même, leur donner de bons et utiles conseils, en rapport constant avec eux, sans rechercher toutefois par une familiarité blâmable une popularité de mauvais aloi ; dans ces conditions, le soldat n’a plus seulement du respect pour son officier et de la confiance en lui ; ces sentiments deviennent du dévouement, et avec des hommes dévoués on peut faire beaucoup.
Au moment du combat, l’homme accepte facilement l’autorité d’une volonté maitresse d’elle-même et servie par un coup d’œil exercé ; il marchera avec plus de confiance s’il sent près de lui des officiers calmes et réfléchis, capables de diriger leurs soldats, de les placer avec intelligence, de les pousser en avant et de les retirer à propos, de régler leur tir et de les rallier à temps sur un terrain propice.

« Il faut, écrit le général Trochu, développer chez le soldat un enthousiasme sérieux et réfléchi et non cette exaltation extérieure qui mène au désordre et au découragement. Dû souvent à la parole confiante du chef, cet enthousiasme n’est une force qu’autant qu’il est opportun, contenu et réglé ; il se traduit alors par la résolution dans l’attitude et l’énergie dans l’action. Le calme des officiers et des sous-officiers, quand il semble inébranlable, a une influence irrésistible sur ceux qui s’étourdissent dans le désordre et dans le bruit. »
Au combat, chacun doit obéir et marcher, tel est le devoir ; mais peut-on espérer étouffer complètement l’instinct de la conservation, éteindre les émotions et l’agitation nerveuse des troupes sous le feu ? On doit chercher à maîtriser ces impressions par l’action réconfortante des cadres d’officiers et de sous-officiers, en développant chez le soldat les idées d’honneur et d’abnégation et en diminuant à ses yeux, par de sérieuses réflexions, l’importance du danger. Ces réflexions seront faites dans les causeries du bivouac et renouvelées brièvement au moment d’entrer en action.
Quelles que soient les opinions religieuses que l’on professe, il est bon, en toute circonstance, de faciliter le ministère de l’aumônier auprès du soldat. Celui qui a des croyances trouve dans l’accomplissement de ses devoirs religieux un grand calme moral ; il est du reste largement prouvé que les sentiments religieux sont loin de diminuer la valeur du soldat.

RÉFLEXIONS SUR LES EFFETS PRODUITS PAR L’ARTILLERIE. — Le soldat affronte plus facilement la mousqueterie que l’artillerie, quoique le canon cause des pertes beaucoup moins sérieuses que le fusil ; ce sont les énormes blessures causées par les éclats d’obus qui frappent le moral. Il faut rappeler aux hommes les circonstances dans lesquelles ils ont été en butte au canon sans éprouver de pertes sérieuses. Certaines troupes qui ont vécu des semaines sous un bombardement continu en arrivaient à forcer leurs conclusions et dire que le canon fait beaucoup de bruit et peu de mal… La difficulté de bien apprécier les distances et de régler son tir diminue considérablement les effets de l’artillerie… La forme allongée des nouveaux projectiles est moins favorable aux ricochets que la forme sphérique ; le ricochet est très capricieux, il ne se produit pas régulièrement en avant et porte souvent le projectile en arrière des lignes engagées… La régularité du tir de l’artillerie moderne a pour effet d’amener presque tous les projectiles d’une batterie sur une même ligne. Un jour de pluie, quand le sol est détrempé, bien peu de projectiles éclatent… Quand on défend un village, l’artillerie ennemie écrase les premières maisons… L’artillerie est sans action contre des tirailleurs isolés ; le meilleur moyen de la faire taire c’est de s’approcher d’elle par petits échelons de tirailleurs à distance de mousqueterie ; si le fantassin est impressionné par le mugissement de l’obus, le sifflement des balles produit de l’impression sur le canonnier.

RÉFLEXIONS SUR LES EFFETS DE LA MOUSQUETERIE. La halle est aveugle ; elle frappe aussi bien celui qui reste en arrière que celui qui marche franchement en avant. — Il faut pour tuer un homme à la guerre son poids en balles de plomb… — Le danger d’être frappé par des balles n’est très grand qu’à certaines distances moyennes. Une fois ces distances dépassées, le danger au lieu d’augmenter diminue ; à mesure que l’on se rapproche de l’ennemi, celui-ci charge, tire et vise plus vite et plus mal ; à peine le fusil à l’épaule, le coup est lâché et passe trop haut. Dans les mouvements des tirailleurs, on vise difficilement et pendant bien peu de temps l’homme qui court pour gagner un abri en avant.
Le tir d’un homme abrité en tirailleur est bien supérieur en justesse à celui d’un homme qui se sent découvert et qui doit à la fois tirer, charger et marcher en avant. Le tirailleur couché ne découvre, au moment de tirer, que la tête et les épaules ; les balles qui l’atteignent au-delà des épaules se relèvent et ne pénètrent pas ; elles ne causent que des contusions ou des sétons sans gravité.
Quand une troupe marche contre une autre, c’est celle qui a le moins de moral qui se laisse intimider la première et lâche pied — « Les troupes en ligne et soumises aux émotions du combat, écrit le général Trochu, ajustent mal, elles tirent devant elles presque toujours trop haut, beaucoup de soldats n’épaulent même pas tandis qu’il faut de bien bons tireurs pour débusquer des groupes de tirailleurs habilement postés. »

RÉFLEXIONS SUR LES EFFETS PRODUITS PAR LA CAVALERIE. — Avec son arme à tir rapide et juste, le fantassin qui n’est point affolé n’a rien redouter d’une charge. Le moindre obstacle, un fossé, une haie, des vignes, etc., empêchent le cavalier de l’atteindre.
Non seulement les balles de l’infanterie désorganisent une charge en tuant chevaux et cavaliers, mais le bruit seul de la mousqueterie affole les chevaux et empêche les cavaliers d’arriver à fond… Il faut qu’une troupe soit étrangement désorganisée et démoralisée pour se laisser approcher par de la cavalerie… Les tirailleurs, même isolés, peuvent se défendre en utilisant le terrain ; groupés en sections ou en pelotons sur quatre rangs, ils peuvent faire face de tout côté.
Par contre, il faut rappeler aux cavaliers pourquoi, à un moment donné, quand l’ennemi est surpris ou en déroute, ou bien encore quand il faut à tout prix arrêter un mouvement de l’adversaire, une charge peut réussir ; c’est parce que le fantassin n’a plus assez de sang-froid pour viser les chevaux ; par instinct il tire sur le cavalier, que sa cuirasse rend invulnérable ; devant cette masse de fer arrivant sur lui à fond de train, le fantassin, déjà troublé, s’affole et tourne les talons sans faire usage de son fusil.

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§ VI. Application au combat des indications données dans les titres précédents du Manuel.

996. — Terrain, conclusions militaires et emploi de la carte,
Appréciation des distances,
Emploi de la fortification passagère et des tranchées-abris,
Outils disponibles,
Retranchements de champ de bataille, défenses accessoires, utilisation du terrain,
Armée combattant à proximité d’une place forte,
Reconnaissance et occupation d’une position que l’on veut occuper, — Reconnaissance d’un position occupée par l’ennemi,
Organiser défensivement une route sur le champ de bataille, — Combats de défilés et embuscades, — Reconnaissance des abords d’une route et des débouchés en vue du combat, — rôle des remblais et des tranchées de voies ferrées sur le champ de bataille,
Combats de hauteurs, — Combats dans les bois, — Combats de localités, — Possession des points de passage sur les cours d’eau,
Mode d’engagement des avant-gardes,
Le tir du fusil et du canon sur le champ de bataille,
Ordre pour le combat, — Rapport sur le combat,

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§ VII. Physionomie de la bataille et observations tactiques.

997. — La bataille va se composer d’une série de mouvements des divers points de la ligne, en avant, en arrière, vers la droite ou vers la gauche. — On cherche à occuper le plus promptement possible avec du canon certains points importants du champ de bataille, afin de manœuvrer sous la protection de l’artillerie et d’atteindre le but qui consiste à couper l’ennemi de ses communications, à le démoraliser, à le déborder, à le tourner, à le mettre en retraite ou à l’entourer… Ici, c’est un bois d’où il faut le déloger, là une ferme ou un hameau qu’il faut lui enlever pour tomber dans son flanc et menacer telle de ses communications. De cette façon, les principaux points d’appui sont occupés ou conquis et la ligne de bataille se trouve, suivant une expression imagée, accrochée au terrain. — Les points qu’il faut posséder et tenir à tout prix sont mis rapidement en état de défense, ils constituent les nœuds de la chaine.
Les intervalles seront plus ou moins réguliers ; les hommes seront debout derrière un mur, à genou le long d’un fossé ou couchés sur certains points découverts ; la ligne sera droite, courbe, brisée ou en crochets, peu importe : ce qu’il y a de certain, c’est qu’ainsi constituée elle présente des points solides où l’on peut se défendre et d’où l’on peut partir pour une nouvelle attaque.
Le but à atteindre doit être bien précisé. — Par exemple, le régiment aura à occuper en arrière de la crête militaire tel mouvement de terrain où se trouvent la ferme de…, le château de… Les ordres de détail sont influencés par la nature du terrain et les phases du combat, néanmoins ils doivent être précis ; par exemple, la 1re compagnie de tel bataillon enlèvera la petite maison de garde qui est au saillant gauche du parc, là elle tiendra jusqu’à ce que la 2e compagnie débouche par la porte du parc, etc…
Dans quelles conditions s’exécutent les mouvements ? — Les mouvements sont préparés et appuyés par l’artillerie. Les pauses pendant lesquelles on ébranle l’ennemi à grande distance sont souvent longues et ne sauraient être abrégées sans danger. Profiter de la fumée du champ de bataille, d’un ralentissement dans le feu de l’ennemi, de l’effet produit par une salve pour faire un bond en avant. Utiliser tous les couverts naturels en se souvenant que si la ligne droite est le plus court chemin, elle n’est pas toujours le meilleur ; en faisant deux crochets à l’abri, on arrive sans éprouver de pertes et aussi vite qu’en marchant droit en avant sur un terrain découvert. Indiquer toujours les points de ralliement où le chef limite le mouvement.
Les efforts doivent être successifs. — Ne pas demander un effort trop prolongé à la même fraction de troupe ; lui laisser occuper et organiser un point chèrement conquis et pousser en avant une autre fraction ; celle-ci marchera mieux parce qu’elle n’est pas épuisée, sa force morale et son élan sont doublés par le résultat obtenu sous ses yeux. De cette manière, les nœuds de la ligne de bataille se reforment, et, après une crise pénible, les troupes se sentent de nouveau et solidement accrochées au terrain.
En arrivant sur un terrain conquis, le commandant de la troupe fait apprécier les distances qui séparent de l’ennemi, reforme et abrite son monde, examine les débouchés et les obstacles en avant, et envoie sans retard à son chef direct le compte rendu de sa situation.
Du grand au petit il faut éviter de calquer ses mouvements sur ceux de l’ennemi, et chercher au contraire à lui imposer sa manière d’agir.
Une portion découverte de la ligne peut être considérée comme occupée sans que l’on ait à y placer des troupes, si elle est battue par des feux latéraux, Il faut non seulement soutenir constamment les troupes engagées, mais le faire de manière qu’elles se sentent soutenues : en marchant en avant le soldat doit savoir qu’il est suivi.

L’élan et le besoin d’offensive font partie de notre tempérament : « Rien n’est plus contraire au caractère des Français, dit le prince Frédéric Charles, que de se défendre sur place en dehors des fortifications. On prétend qu’ils n’y entendent rien, c’est possible ; il y a là une faiblesse de leur part dont on devrait profiter. »
Puisons à la même source le conseil après la critique : « Une ligne de feu bien couverte, écrit le prince, ne bouge pas devant une attaque pour prendre l’offensive ; elle écrase l’ennemi sous un feu bien ajusté et laisse à une autre portion de troupe le soin de prononcer une attaque sur le flanc. De cette manière on résiste non seulement front contre front mais front contre flanc et l’on dispose d’une grande puissance en poursuivant l’offensive. »
S’il est vrai que la critique d’un ennemi vaut mieux que la louange d’un ami, citons encore le prince Frédéric-Charles : « On connaît par les relations les paniques qui saisissent les Français, quelquefois de nuit et même de jour. » C’est en donnant à temps les avertissements appropriés aux circonstances et en raffermissant les esprits à l’avance que les chefs et les officiers peuvent conjurer ces paniques. Éviter surtout les cris et ne pas prononcer, dans le cas d’un mouvement rétrograde, le mot de retraite, qui impressionne l’officier et le soldat ; dire, par exemple, que nous allons occuper tel point, notre compagnie va s’y rendre par tel chemin. »

998.— ATTITUDE SOUS LE CANON. — Quand, en terrain découvert et à grande distance, une troupe est battue par un tir d’artillerie précis mais peu rasant en raison même de l’éloignement, elle atténue considérablement l’effet des décharges, en avançant un peu ; il est difficile aux artilleurs de tenir compte de tels déplacements, surtout s’ils sont exécutés lentement et avec ordre dans la direction même du tir. Ces déplacements peuvent s’employer souvent ; ils dépendent du sang-froid des chefs et de la discipline des soldats ; ils constituent un des meilleurs moyens d’éviter des pertes.
Quand on attend le moment d’entrer en ligne, mieux vaut se placer derrière un groupe de maisons que dans les cours ; quand le groupe de maisons est un peu compacte les projectiles éclatent ayant d’arriver ou passent par-dessus les troupes en rasant les toits.
Par son tir courbe, l’artillerie peut plonger derrière un talus de chemin, derrière un bâtiment, derrière un parapet ; elle peut, en un mot, atteindre les troupes placées derrière les couverts ; elle cherche souvent à le faire, afin de démoraliser les réserves non engagées ; c’est assez dire que, dans celte situation, les troupes doivent faire peu de mouvements, ne pas allumer de feu, ne pas laisser les hommes s’écarter afin de ne pas éveiller l’attention des batteries ennemies. — Dans le même but, ces postes se prennent à la brume quand c’est possible, ou bien on y arrive en se masquant par un rideau d’arbres, par la fumée du champ de bataille.
Ne jamais laisser d’infanterie en arrière des batteries dans cet espace que l’on désigne par le terme significatif d’égout des boulets ; ne pas se rapprocher trop près des flancs de l’artillerie ; cette attention est nécessaire quand, sous un feu intense, une batterie prend plus de front en ouvrant ses intervalles ; si l’on se contente de ployer une aile d’infanterie sur elle-même, on laisse une colonne profonde exposée aux projectiles qui manquent la batterie ; mieux vaudrait porter l’excédent des troupes en arrière du centre.

FAUT-IL FAIRE COUCHER LES HOMMES SOUS LE FEU ? — L’expérience faite à Sedan et ailleurs porte à croire que cette pratique démoralise le soldat ; il est difficile ensuite de le faire lever. A Metz, des troupes solides se sont relevées pour prendre une vigoureuse offensive, après être restées des heures couchées sous le canon. A Paris, les Prussiens n’ont jamais abordé nos hommes quand ils étaient couverts par la moindre tranchée-abri. Nous pensons donc que l’on peut faire coucher sans inconvénient do bonnes troupes commandées par des officiers énergiques et que l’on doit le faire quand la condition de tenir le terrain à tout prix domine toutes les autres. Si cela est possible, on ébauche une levée de terre à la faveur de la brume ou de la fumée du champ de bataille (fortification). Ne pas oublier que si le moindre pli du sol permet de garder les hommes debout ou à genou, on en reste plus facilement maîtres. Ces réflexions montrent combien il est intéressant de développer le coup d’œil afin d’utiliser les abris multiples et toujours utiles qu’offre le terrain.

999PRISONNIERS ET BLESSÉS. — Dans la poursuite, il faut faire des prisonniers en débordant les fuyards au lieu de les fusiller dans le dos ; on prend ainsi trois hommes pendant moins de temps que l’on met à en tuer un : la mort de l’ennemi est un moyen de combat et non son but.
Les blessés doivent s’abriter le plus possible, faire peu de mouvements sous peine d’être pris pour des tirailleurs ; ils ne sont d’ordinaire enlevés de la zone du combat que lorsqu’on peut le faire sans trop exposer les porteurs. Chaque homme met dans son sac un peu de charpie, une bande et un mouchoir ; plus d’un blessé a dû sa vie à ce premier pansement qu’il s’est appliqué lui-même pour arrêter l’hémorragie.
La meilleure manière d’assurer le sort des blessés ne consiste pas à quitter le rang pour les transporter, comme cela arrive quelquefois, mais à remporter la victoire : les victimes de la journée recevront alors les soins de leurs frères d’armes et les consolations de la mère patrie.

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